HOSTILES - la critique

Hostiles, écrit par Scott Cooper, d'après une histoire de Donald E. Stewart. Réalisé par Scott Cooper. Avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Ben Foster, Rory Cochrane, Stephen Lang, Adam Beach, Timothée Chalamet, Jesse Plemons, Q'orianka Kilcher, Jonathan Majors. USA / 133 mn. Sortie le 14 mars 2018.

En 1892, le capitaine de cavalerie Joseph Blocker, ancien héros de guerre devenu gardien de prison, est contraint d’escorter Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales. Peu après avoir pris la route, ils rencontrent Rosalee Quaid. Seule rescapée du massacre de sa famille par les Comanches, la jeune femme traumatisée se joint à eux dans leur périple.
Façonnés par la souffrance, la violence et la mort, ils ont en eux d’infinies réserves de colère et de méfiance envers autrui. Sur le périlleux chemin qui va les conduire du Nouveau-Mexique jusqu’au Montana, les anciens ennemis vont devoir faire preuve de solidarité pour survivre à l’environnement et aux tribus comanches qu’ils rencontrent.

HOSTILES - la critique

S’il ne squatte plus le haut de l’affiche comme il a pu le faire au moment de son apogée (des années 30 aux années 60), le western n’en a pas pour autant dit son dernier mot : souvent enterré, toujours ressuscité, que ce soit sur le grand écran ou via la petite lucarne, le western n’a eu en effet de cesse, au fil des décennies passées, de se rappeler au bon souvenir des spectateurs.

Des superbes Danse avec les Loups de Kevin Costner et Impitoyable de Clint Eastwood au début des années 90, en passant par les excellents 3h10 pour Yuma de James Mangold, Les Disparues de Ron Howard ou bien encore Open Range (Kevin Costner encore), sans oublier les relectures post-modernes de Quentin Tarantino (Django Unchained, Les Huit Salopards), ce genre mythique de l’Histoire du Cinéma a prouvé de manière éclatante qu’il était, et on peut le dire sans sourciller, éternel.

De même, loin d’être une version étriquée de ce que le grand écran est capable de proposer, la télévision, grâce à des séries comme Deadwood, Hell on Wheels ou les récentes Westworld et Godless a elle aussi démontré la puissance évocatrice de genre on ne peut plus passionnant.

En ce début d'année 2018, c'est Scott Cooper qui nous propose de plonger dans le Grand Ouest américain.

HOSTILES - la critique

Du magnifique Crazy Heart au très solide Strictly Criminal, en passant par le poignant Les Brasiers de la colère, il serait peu dire que le cinéaste Scott Cooper nous avait tapé dans l'oeil : son regard porté sur l'Amérique et ses petites gens, sur la violence maladive qui la gangrène (cette façon remarquable de faire basculer Strictly Criminal du polar vers l'horreur via la figure incroyable de Whitey Bulger) et cette manière de peindre une fatalité qui semble toujours vouloir avoir raison des espoirs de ses personnages avaient fait de ce jeune réalisateur l'un des plus prometteurs de sa génération, l'un de ceux qui aspiraient très clairement par les drames qu'il mettait en scène à renouer avec ce grand cinéma américain des années 70 malheureusement disparu.

Pour autant, malgré ces intentions plus que louables, il manquait un je-ne-sais-quoi pour que Cooper puisse vraiment prétendre à être un auteur de la trempe de ses glorieux aînés (Michael Cimino et Martin Scorsese en tête) : solides, émouvants et emmenés par des comédiens épatants (Jeff Bridges, Christian Bale et Johnny Depp y ont livré des prestations époustouflantes), ses films se révélaient ceux d'un élève un peu trop appliqué, un peu trop sage et mettaient un frein regrettable à l'ambition on ne peut plus affichée de son cinéma.

Hostiles vient totalement balayer ces quelques réserves. Par le biais d'un récit poignant, brutal mais pétri d'un humanisme renversant, Scott Cooper vient de signer son plus beau film. Le fait qu'il s'agisse d'un western, LE genre cinématographique américain par excellence, celui par lequel l'Amérique a construit sa mythologie, ne devrait pas être une surprise de la part d'un metteur en scène autant fasciné par son pays et ses facettes sociales, raciales et/ou culturelles.

HOSTILES - la critique

Tel un Michael Cimino offrant à l'Amérique un miroir ô combien dérangeant quant à cette mythologie dans le définitif La Porte du Paradis, Quentin Tarantino, avec son jubilatoire et fortement politisé Les Huit Salopards, renvoyait à son pays son racisme et sa violence latente : s'il ne cherche pas à le déstructurer et à jouer avec ses codes comme a pu le faire ce dernier (avec le huis-clos et le whodunit), Scott Cooper n'en reste pas moins conscient que le western a toujours su être le reflet de l'Amérique, parfait pour interroger le passé afin de le faire résonner avec le présent.

Comme les westerns révisionnistes que sont Little Big Man, Jeremiah Johnson ou bien sûr Danse avec les Loups, dénonciateurs de la colonisation brutale et du massacre subis par les  Amérindiens, Hostiles est une fresque bouleversante qui laisse de côté toute forme de manichéisme pour mieux se faire le chantre d'un humanisme déchirant. Parce que si le film est un voyage au sens littéral, un road-trip entre le Nouveau Mexique et le Montana, il est aussi et surtout un voyage introspectif dans la psyché de personnages torturés : il s'agit certes d'une recette plutôt classique, faire d'un parcours physique l'écho d'un cheminement intime, mais il faut louer la force avec laquelle Scott Cooper la fait sienne. Au fil de leurs errances, ces personnages qu'il filme avec une retenue renversante vont évoluer, se remettre en question et oser aborder, voire faire face, au Mal qui les ronge. Bourreaux, victimes : ils ont tous été, à un moment ou un autre de leur existence, d'un côté ou de l'autre de la barrière. C'est ce qu'expriment les deux séquences introductives du film : la famille du personnage incarné par Rosamund Pike massacrée par des Comanches ; des Cheyennes victimes du personnage de Christian Bale et ses hommes. De cette exposition simple, Scott Cooper va tirer un récit tout sauf simpliste : en exprimant les doutes et les remords de soldats entraînés à tuer, en mettant des mots (qu'ils soient en anglais ou en langue indienne) sur les traumatismes qui les hantent, il livre une réflexion brutale et saisissante sur l'intolérance et le racisme, mais également sur le pardon et la paix, tant avec son ennemi qu'avec soi-même.

Et, en se remémorant la citation de D.H. Lawrence qui apparaissait au début du film ("L'âme américaine est par essence dure, solitaire, stoïque, meurtrière. Elle l'est toujours."), on se dit que oui, indiscutablement, le western est le genre parfait pour réfléchir (à) notre présent par le prisme du passé...

HOSTILES - la critique

Marche funèbre aux résonances actuelles, Hostiles est un film d'une profondeur estomaquante, un film où l'émotion et l'humain sont prépondérants : aucun cynisme, aucun second degré, du cinéma pur et dur qui n'a pas peur de questionner la culpabilité, la rédemption, la peur et la mort au gré de séquences d'une violence brute et radicale (on ne se remet pas de l'introduction...), via des dialogues emplis de sagesse ("Je jalouse la mort. Son immuabilité") ou par un travail remarquable sur les silences et les regards, tout aussi évocateurs et puissants qu'une tirade.

Et pour soutenir ce remarquable scénario, aussi épique qu'intime, sachant ménager quelques rares mais très efficaces moments d'action au sein d'un récit principalement porté sur l'introspection, il fallait à Scott Cooper des comédiens plus que solides. Quels superlatifs utiliser pour parler de Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi ou bien encore Rory Cochrane ? Qu'ils sont incroyables ? Ce ne serait pas assez fort tant leurs prestations sont d'une justesse ahurissante : Bale y exprime avec un talent rare la complexité d'un homme qui voit son masque se fissurer au fur et à mesure de son périple aux côtés de ses anciens ennemis tandis que Wes Studi, inoubliable dans Le Dernier des Mohicans de Michael Mann, campe un Yellow Hawk remarquable de dignité.

Mais c'est la superbe Rosamund Pike (Gone Girl) qui met le spectateur à genoux et touche au coeur avec une intensité brûlante : colère, tristesse, espoir, détermination... il y a facilement un million d'émotions qui passent par ses yeux. Un seul de ses regards est capable d'exprimer et de partager tellement de choses qu'on ne peut que rester ébahi, ému, transporté par une interprétation à laquelle le terme "magnifique" ne saurait entièrement rendre justice. 

HOSTILES - la critique

Magnifié par la subtile partition de Max Richter (The Leftovers) et les images sublimes de Masanobu Takayanagi (Le Territoire des Loups de Joe Carnahan), le western crépusculaire de Scott Cooper est amené à devenir un classique du genre : par son récit déchirant amenant ses personnages à constater la fin de leur monde (la Conquête de l'Ouest n'existe plus...) et n'ayant plus qu'un seul ennemi à qui se confronter, eux-mêmes ; par sa noirceur suffocante d'où parviennent à ressortir un humanisme et un espoir bouleversants ; par l'ampleur de sa mise en scène ; par la puissance de son casting... Hostiles est un immense film.

Et son dernier plan, peut-être à l'heure actuelle le plus beau de tout le cinéma de Cooper, n'a pas fini de vous hanter...

Crédits photos et résumé : Entertainment Studios Motion Pictures, AlloCiné.

Retour à l'accueil